Granadilla, un village figé dans les années 1950

Le nord de l'Estrémadure est une terre chargée d'histoire. Certains endroits ont courageusement résisté au passage du temps, comme Hervás, ou s'y sont adaptés avec retard, comme Cáparra. Avec ses magnifiques paysages, arrosés par des ruisseaux et des piscines naturelles, c'est une région où tout voyageur s'arrête. Cependant, je n'ai pas encore écrit à propos d'un des endroits les plus beaux de cette région : Granadilla. Il n'y a pas beaucoup de villages comme celui-ci. Pourquoi ? Parce que dans les années 1950, Franco, le dictateur espagnol, décida d'y construire un barrage. Mais à cause d'erreurs de calcul, l'eau n'est jamais arrivée jusque là, et les habitants sont partis. C'est l'histoire de Granadilla, un village resté figé dans les années 1950.

Un peu d'histoire

Granadilla fut un grand village, dès les débuts. Il fut fondé par les Arabes, à côté de la Voie d'Argent, qui relie le nord et le sud de l'Espagne depuis l'époque romaine. Ils construisirent une solide muraille qui a survécu jusqu'à nos jours (l'une des rares en Espagne qui y soit parvenue, après toutes les guerres). Puis elle a été conquise par les chrétiens et transformée en une "villa", bénéficiant de nombreux droits. Elle s'appela pour un temps Grenade, mais finalement, elle fut renommée Granadilla, "petite Grenade", afin de la distinguer de la Grenade andalouse. Bien qu'elle ne soit pas aussi grande que l'autre, elle est devenue si importante qu'elle a fini par appartenir à la Maison d'Albe (à ce jour, ils sont dans la lignée de succession au trône d'Angleterre). Cette famille construisit la forteresse, dont l'entrée se distingue avec sa forme très originale. Du haut de celle-ci, le visiteur a une vue imprenable sur l'Estrémadure sauvage.

Castle of Granadilla, Granadilla

10710 Granadilla, Cáceres, Espagne

Granadilla est abandonnée

Dans les années 1950, Franco décida de revitaliser les zones rurales de l'Espagne en construisant barrages et réservoirs. Peu importait qu'ils recouvrent des villes comme Granadilla ou des sites anciens comme Valdecañas. Ainsi, les habitants de Granadilla furent contraints de quitter leurs maisons, leur église, leurs proches enterrés, et de partir vers une nouvelle ville qui se construisait à proximité. Cependant, quand l'eau fut libérée, on s'est rendu compte qu'elle n'arrivait pas jusqu'au village, mais les habitants ont souhaité revenir. Jusqu'à ce jour, je ne comprends pas pourquoi Franco refusa. Ils n'avaient juste pas le droit de le faire ! Et c'est encore le cas aujourd'hui ; ils ne sont autorisés à revenir qu'à l'occasion de la fête locale, le 15 août, lorsqu'ils peuvent assister à la messe dans leur ancienne église, et le 1er novembre, lorsque les gens rendent visite à leurs proches au cimetière.

Church of Asunción, Granadilla

Plaza de la Iglesia, 1, 10710 Granadilla, Cáceres, Espagne

Restauration de Granadilla

Cette situation est devenue ridicule avec le temps. Les maisons s'effondraient, l'église était sur le point de s'écrouler. Le gouvernement d'Estrémadure décida alors d'agir. Chaque été, des groupes de bénévoles venaient travailler à la rénovation des maisons. Ils n'étaient pas autorisés à modifier la structure, si bien que la ville a l'air d'un vieux film des années 1950. J'ai voyagé dans le monde entier, mais ce village m'a fait une énorme impression : je n'ai jamais rien vu de tel. L'idéal est d'y aller en fin d'après-midi pour profiter du soleil qui se cache derrière le réservoir. Ensuite, quelqu'un sonne la cloche, annonçant que les portes du village se ferment pour la nuit. Pendant la journée, le village est plein de vie, les visiteurs errent dans les rues tels des fourmis. Vous verrez des maisons colorées avec leur corral, vous pourrez parcourir le long mur de la ville (près d'un kilomètre de long), ou monter jusqu'à la tour principale. De là, vous pourrez admirer la vue sur tout le village d'un côté et, de l'autre, la chaîne de montagnes qui bloque la route de Salamanque.

Un conseil : il n'y a aucun bar, alors emportez tout ce dont vous avez besoin ! Après tout, vous êtes à Granadilla, un village figé resté dans les années 50...